Indigo - L'album bréviaire d'Elom 20ce

« Le chaos précède la construction, c'est ma théorie. Le hasard n'existe pas. Tout ce que tu avales, tu devras le ressortir un jour. Que le ciel s'effondre et se fracasse sur nos cranes ».

Ces propos aux allures d'une sombre prophétie, D'une Théorie du chaos ne sortent pas de la bouche d'un afro-pessimiste mais sont la résonance d'un constat. Le constat amer d'une Afrique qui a tout pour être puissante, de par sa richesse inouïe, mais dont les populations sont très pauvres. Un constat d’un rappeur activiste, fervent panafricaniste qui se définit comme partisan d'une Afrique unie, riche de toutes ses diversités, depuis le Maghreb au Cap, et du Cap-Vert à Madagascar. Elom 20ce.

Elom 20ce (à prononcer : Elom vince) appartient à la caste d'intellectuelles dite griot contemporain. Habitué à bousculer les normes à travers son engagement et sa musique, ce rappeur d'origine togolaise se sert du hip hop comme courroie de transmission entre son message et des africains qui peinent à se tourner vers l’autodétermination. "Indigo" c’est le nom de son nouvel album sorti le 11 décembre 2015. Un album qui vient en droite ligne de ses deux premiers opus : "Légitime défense" (2010) et "Analgézik" (2012). A croire qu'il s’agit là du troisième volet d’une trilogie d’albums de mise en garde. Les titres "Lamentations" et "Vodoo Sakpata" en donne au début le ton.

L'inconnu sur la pochette à la coupe d’Angela Davis (grande figure du mouvement noir américain aux cotés de Malcom X et Martin Luther King) est une photo de sa mère dans sa jeunesse à qui l’artiste voulait faire un clin d’œil.

Ce troisième album que le rappeur dédie à ses « gens indigènes, populations indigentes » porte au paroxysme de l’expression d’une douleur traduite par quatorze (14) titres. Des titres aux influences Jazz, fusion, blues, rock, et hip hop avec des touches traditionnelles qui touchent à l’âme. Le point d’honneur qui est mis au live en rajoute au caractère puissant des vibrations de l’album. Le travail musical est très soignés dans l’écriture, le choix des instrumentaux, le style, les références sociale et historique.

"Indigo" comme le dit l’artiste lui-même « est un clin d’œil au morceau "Mood Indigo" composé par Duke Ellington et Barney Bigard ». Un classique du jazz ! "Indigo" toujours parce que « c’est aussi le mélange des couleurs ». Et pour être coloré, l’album l’est à plus d’un titre. Chaque artiste invité y a apporté une couleur particulière.

Il partage avec Le Bavar, membre du groupe de rap français actif depuis 1997 La Rumeur. Et comme une référence en appelle une autre, Oxmo Puccino et la chanteuse béninoise Pépé Oléka chantent "J'ne pleure pas ce sont les oignons" au coté du rappeur qui raconte sur son couplet le destin abyssal d’une femme (Fatou). « Son père, elle l’a connu qu'à travers le récit de sa mère qui l’a vendu à 15 piges […] depuis qu'elle a enterré ses fils partis rejoindre leur père, après une longue maladie, elle parcourt le pays sans sandale ni vêtement disant : je ne pleure pas…». Le morceau est résolument porté par des sonorités africaines. Elom a aussi fait appel au rappeur allemand Amewu et au ghanéen Blitz The Ambassador, qui jouit d’une brillante carrière internationale sur « Aveugles, Bavards & sourds ». Kingsunjah LK du groupe togolais SIH l’accompagne sur le titre "Africa iz da present". Sur le titre "Sôssignalé", on retrouve les rappeurs Avénon et Prince Mo.

Toujours dans l’esprit de travailler avec les meilleurs pour sublimer son art, Elom 20ce a fait appel aux rappeurs hexagonaux Sitou Koudadjé du groupe Dangereux Dinosaures et Zalem sur le titre "Fourmis" : une ode à la solidarité, à la complémentarité entre les gens et les peuples. Dans son post scriptum le Fils de KI-Zerbo et de Cheikh Anta Diop nous propose une interview micro ouvert de 21min 54 avec l’historien et écrivain Amzat Boukari-Yabara. Il y revient sur l’historique du panafricanisme et dresse un réquisitoire contre les maux responsables de l’aliénation culturelle, du manque de vision des leaders africains, de l’inadéquation entre la politique des dirigeants et les besoins des populations.

"Indigo" plus qu'un album qui appel à la remobilisation des consciences, devrait servir de bréviaire à cette génération qui peine à retrouver ses valeurs à cause d’un système qui avale ses propres gosses par la tête.

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