7 décembre. Africa Sound City. Les visiteurs et les habitués du coin s’y perdent. Quelle est cette étrange décoration ? Pourquoi toutes ces lumières et ce caractère sombre qui se dessine dans le centre ? Ne sommes-nous pas seulement venu pour le concert de Djamile Mama Gao ? Djamile Mama Gao, son concert du 7 décembre. C’était, c’est et ça restera quelque chose qui marquera les esprits. Nous vous proposons un récit des événements. En fait, non, il s’agit d’un voyage. Un voyage au cours duquel vos sens seront mis à l’épreuve.
• Aux premières heures…
Le spectacle de Djamile Mama Gao a commencé avec la projection sonore d'un montage aux allures radiophoniques. Il (le montage) tirait son inspiration de plusieurs références africaines : culture, idéologie, identité, politique, sociologie, monde spirituel, dimension journalistique, etc. Et il mettait aussi en avant le rôle de l'écrivain, la fonction de l'artiste, la nécessité de sa posture activiste, et les obligations esthétiques dans son processus de création. Plus encore, le montage se nourrissait du parcours professionnel de Djamile Mama Gao.
Pourquoi une telle précision dans le montage ? Il fallait créer un fourmillement dans l'esprit du spectateur et l'intégrer à son propre insu au spectacle dès la minute de son arrivée à Africa Sound City. A propos de spectacle, tout commença avec des bénédicités en plusieurs langues béninoises et africaines. Comme pour suggérer que les bonnes vibrations viennent de partout quand le cœur comme l'esprit se laissent fleurir par elles.
• La touche de bienvenue
Après les dernières notes de bénédicités, le spectacle proprement dit commença par des voix de femmes. C’était les voix de quelques jeunes slameuses propulsées par la compétition Slam Ladies : Sara OBAME, Paule AKOUTE, et Élodie Gloria AIVI-VINZ.
Elles prennent la parole en disant des textes de Djamile Mama Gao. De cette façon, elles parviennent à introduire le spectacle auprès du public. Mais aussi elles font introduire le public dans l'espace de spectacle, qui était caché par des rideaux de pagnes africains. Là, le metteur en scène, Gbènakpon, et Djamile Mama Gao, avaient voulu signifier à quel point le devant chez soi, qui mène vers le en soi, devrait refléter la personne intérieure avant même qu'on ne puisse présumer être tout ce qu'on dit ou est.
Ainsi, le public qui avait été installé dans une sorte d'anti-chambre, lieu différent de l'espace où le spectacle même est censé se dérouler, était convié à entrer dans ledit espace. Entrer comme on entre au couvent. Entrer comme on va à un voyage intérieur. Entrer comme pour s'offrir une immersion dans le monde "enslamé" prévu pour le public.
• Un décor travaillé
Pour l'occasion du concert de Djamile Mama Gao, Africa Sound City a été totalement rénové en termes de décor. La salle de spectacle était devenue comme une forêt urbaine, où branches, branchages, feuillages, lampes artisanales, cases simulées, routes inventées, sentiers crées et autres éléments de vie métissée (entre traditions et modernités), cohabitaient.
• Spectacle, mais nettoyage d’abord
Alors après une première déambulation du public dans la forêt urbaine, conduit par les filles, à plusieurs points focaux pour aborder par des textes de Djamile Mama Gao qu'elles disaient à propos de plusieurs sujets cruciaux, le public retrouve l’artiste du jour sur scène. Il trônait sur une estrade en hauteur comme une statuette historique dans une longue tunique griffée Riche ou Rien et un foulard. Il prend la parole. Silence !
Djamile Mama Gao se met à parler de l'environnement, de l'implication de chacun dans l'assaisonnement de la nature. Le texte dont le leitmotiv était "Baisse toi et ramasse" fonctionne comme un appel à l'action, mais aussi selon la logique qu'il faut s'impliquer soi-même si on veut que les autres le soient davantage aussi. Et donc pour l'occasion, Djamile Mama Gao n’a pas hésité à se servir de se tunique comme poubelle de ramassage.
Le public était convié à ramasser les feuilles, les sachets et autres déchets volontairement disposés par le metteur en scène Gbènakpon Todégo, afin de participer à l'action dans la lutte pour l'amélioration de l’écosystème.
Et alors que ce tableau se bouclait par l'applaudissement du public lorsque Djamile Mama Gao dit les derniers mots en rentrant dans les coulisses, ce sont les musiciens qui ont pris aussitôt le relai dans la dynamique du spectacle. C'était chronologiquement prévu ainsi.
• On commence enfin
Des coulisses, Djamile Mama Gao entama du texte sur la musique de ses musiciens : Oswaldo KPODIEFIN, qui était aux claviers et aussi le directeur artistique de l'aspect musical du concert, Hubert Houédénou (à la Bass), Bona Adjanohoun (à la Batterie - Percussions) et Pamphile Éké (à la Guitare Solo).
Après une allégeance à toute l'équipe qui l'accompagne sur scène comme en dehors (notamment Arch'Prod aux caméras, l'équipe de Jah Baba à la lumière comme au son et Darimage pour les photos), Djamile Mama Gao démarre sa prestation scénique avec "Je suis Albinos" avant de laisser place à "Quand tu seras grand" et "T’aimer oklm", des titres issus de l'album "Na Yi Noukon", exécutés en première partie.
Pour ceux qui avaient écouté le projet en question, le choc était grand, immense. A chaque titre, on pouvait se rendre compte de la déconstruction volontaire opérée sur les versions originales des chansons. "T'aimer Oklm" par exemple est devenu un zouk aux allures kompa qui a eu de répondant dans le public. D'ailleurs à l'issue du concert, le public a réclamé ce titre en bonus et en bis. Ce ne serait même pas surprenant que pour le clip officiel de cette chanson, ce soit la version revisitée que Djamile Mama Gao tourne.
• Le passage le plus symbolique de la soirée
Il faut dire qu'il y a eu après cette première partie musicale, une pause dans la trame du spectacle. Une fois encore, le public a été sollicité pour participer à la mise en scène pensée par Gbènakpon Todégo. Après le dernier morceau de cette première partie, Djamile Mama Gao a invité le public à se mettre debout. Il s’est ensuite retiré, comme s’il plantait tout le monde et, au moment où se fermaient les coulisses, les slameuses ont repris de la voix. Pour dire un texte sur la notion du bonheur ou non.
Pendant ce temps-là, le podium était assombri totalement, autant que l'espace de spectacle. C'est donc dans cette sorte de pénombre que le public était convié à réfléchir sur le fait d'être heureux ou non. Et quand la lumière revint, à la fin de leur texte, c'est Sergent Markus, qui était sur scène pour récupérer le public par son flow torride et une musique qui prend aux tripes. Là s'est déroulée, la séquence de transmission entre le mentor et la relève. Car Sergent Markus a fait un texte sur son parcours et sur le fait d'avoir trouvé une relève qui a suivi ses traces et avec laquelle il pouvait désormais cheminer pour la suite de l'aventure. Au cours de son texte, il invite Djamile Mama Gao à venir recevoir le micro de transmission.
Détail intéressant, Djamile Mama Gao, tout comme Sergent Markus, a suivi une formation militaire. Pour cette raison, il est sorti des coulisses avec un béret sur la tête, look androgyne, et il défile comme à l'armée. Il monte sur scène et pose un genou à terre pour prendre le micro des mains de Sergent Markus. Un passage symbolique. Comme pour dire qu’il est reconnaissant et pour traduire que l'ancienne corde est désormais prête à guider la nouvelle à ses côtés. Puis... Après que Djamile Mama Gao reçoit le micro, il dit du texte avec Sergent Markus, dans un passe-passe calibré pour montrer que l'un apprend de l'autre et l'autre se fait à travers l'un.
• Un nouveau personnage apparaît
Après la scène avec Sergent Markus, Djamile Mama Gao invite le public à sortir totalement de l'espace de concert. Évidemment, le choc se ressentait auprès de tous. Pourquoi sortir ? Quelle idée de sortir son public pendant le concert ? Et où aller ?
La réponse se trouvait dès la sortie. Parce que dès que le public a vidé les lieux, il s'est trouvé nez à nez avec le slameur Amagbegnon. C'est lui maintenant, qui va les réintroduire dans le Temple. Comme pour dire que sortir, c'est se laver de tout ce qu'il avait vécu jusque-là. C'est comme s'épurer, recharger ses batteries émotionnelles pour entrer dans la dernière phase du spectacle, avec de nouvelles énergies.
Et ces énergies-là sont renouvelées par la parole Vaudou de Amagbegnon, qui va les ramener dans la brousse urbaine qu'est l'espace de concert, pour retrouver Djamile Mama Gao. Et son look change. Capillaire androgyne, look vestimentaire androgyne aussi, il respire l’Afrique. Ce retour orchestré, c'était pour les confronter au néant, à eux-mêmes puis les reconnecter à la positivité Vaudou à travers le titre Vaudou Gnon " qui a pris en live un ton d'Afrobeat de Féla.
• La cadence change, les inédits sortent
Après la connexion entre le public et ses origines androgynes, le concert était chaud bouillant. Djamile Mama Gao exécute le titre éponyme de son album "Na Yi Noukon", puis enchaîne avec quatre inédits à l'énergie solaire et pop. Cette dernière partie était intense, très musicale, très communicative, et survolté.
« Les titres exécutés étaient des extraits de mon prochain projet à paraître en début 2020 », nous a-t-il confié. C'était donc une sorte de test pour voir comment le public réagit à la nouvelle perspective qu’il apporte dans son approche slam. Et ses textes n'étaient plus seulement dits, mais scandés, entonnés, psalmodiés, voire chantés. Le titre "Follow your Dreams" en featuring avec la chanteuse Ayam Sèdjro, qui a également joué le rôle du chœur de tout le concert, a permis de montrer que la vision de Djamile Mama Gao s'est élargie. Clairement, ça se perçoit que son prochain projet est ciblé Europe et ailleurs avant tout.
• Et c’est la fin !
Au final, on peut dire que ce show était pensé, préparé, et synchronisé. Nous avons demandé à Djamile Mama Gao ce qu’il fallait retenir de ce concert. Sa réponse ?
« L'idée derrière, c'est de construire un spectacle déambulatoire qui implique le public au-delà du simple rôle passif du spectateur. Créer un dialogue continu et constructif où chacun se sent concerné et prend place dans le spectacle comme partie intégrante. Mais en même temps, il s'agissait d'inviter les gens qui étaient là à une sorte de voyage collaboratif qui pousse à la réflexion et à briser les codes ou les attentes préconçues par rapport à un spectacle dit de slam. Enfin, c'était aussi pour permettre de faire percevoir un peu plus à quel point L'AFROSLAM selon moi, c'est un MOUVEMENT incessant et unifié, à tous les niveaux d'implémentation. »
Terminus, on descend ! Le voyage était passionnant, vous ne trouvez pas ?
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