Cotonou City Crew et le salace de l'espérance

Cotonou City Crew : Parti d’un rêve ou le salace de l'espérance


Au recto du disque



On écoute Cotonou City Crew; telle une tribu unifiée qui hausse à tue-tête la notoriété de leurs voix. Mélange de diversités, rapprochement de styles différents et fusion de timbre. Le Crew se veut être porteur de solidarité et colporteur d’indivisibilité. Ainsi, la sphère du rap béninois est comme édifiée; car tout le temps chez nous, des groupes se font et se défont; mais Cotonou City Crew tente de se faire pour ne plus se défaire. Et c’est peut-être dans cette optique de solidification que le projet d’un (premier) album d’ensemble a été initié.

Et voilà que naît « Parti D’un Rêve »; ou plutôt, disons, "PARTI D’UNE TRÊVE". Car on se souvient du silence momentané du Crew après le départ polémiqué; et de Mister Blaaz, et de Sêwêdo. On se demandait si leur silence allait être éternel. Le tumulte autour des départs semblait avoir apparemment affecté le mental collectif. Mais bon ! Réponse vivace et vivifiante. D’une trêve, le rêve se consolide pour enfanter un « 14 titres »; d’abord un peu entêté, ensuite davantage entêté, et enfin beaucoup entêté.

Entêtement en effet ! Le type d’entêtement qui prend ascendance autant sur les cordes vocales des rappeurs que sur le choix thématique. Voici un album qui nous donne à revisiter les années 80; où le rap se prétendait "hustler", où le rap exigeait audace du verbe, mortification de la retenue, et jaillissement du « salace ». Nous sommes donc à travers la virilité, la sexualité des mots, transportés à une époque du r-a-p pur et dur. Strass, paillettes y affirment leur insolence et leur insistance. Ce n’est pas des accents de rage que nous constatons tel qu’on l’aurait kiffé avec Afrikaa Babaamta, mais tout de même, il nous reste l’outrecuidance qui caractérisait 2pac ou BIG Notorious. Que l’on ne se trompe point. Ce n’est pas un retour aux fondamentaux rapologiques que prône cet album. Mais il est cependant "un retour" qui se veut insistant dans cet opus. Un retour aux résonances " 229 ".

Pendant que nous aurions pu taxer, CCC, de ne faire que du "States Feeling", ils surprennent par les intonations et la rythmique des titres comme « Tékpamanchè » et « Take Me As I Am ». Et justement, en se prêtant à faire la traduction, « Take Me As I Am » voudra signifier : « Admets-moi tel que je suis ».

Comment admettre un artiste si ce n’est à travers ce qu’il chante ? Comment admettre un rappeur si ce n’est à travers ce qu’il rappe ? Comment admettre un talent si ce n’est par rapport à la mélodie qu’il transmet ? Nous sommes ainsi, appelés à admettre CCC, comme des adhérents à la culture béninoise, bien que semblant eux-mêmes, être « Occidentalisés » ou « Statois ». Nous admettons aussi combien le crew est soucieux, de ne pas se démarquer de cette touche "afro" qui est sensé les identifier puisque « en les admettant tels qu’ils sont », on est forcé à les prendre tels qu’ils se présentent. Et dans ce titre « Take Me As I Am », ils se présentent comme des battants, des batteurs, ou tout audacieusement, des gagnants.

Nous parlions à l’entame, des années 80 ! Dans ce cas, rappelons qu’à l’époque, le salace avait comme intrigue, le besoin de choquer, de désappointer, d’exprimer une force de la révolte (exagérée parfois), exhibitionniste même. Mais avec Amir, Anouar, Nasty, D.A.C et B-Syd, nous sommes confrontés à d’autres revers. Salace oui ! Strass, paillette, sexe, oui ! Mais aussi, titre après titre, s’élève, d’abord l’espérance, ensuite l’espoir, puis la foi. Trois vocables du même champ sémantique qui révèle l’esprit de l’opus et pourquoi pas de nos rappeurs. L’exultation se veut ainsi celle, de ceux qui veulent réussir coûte que coûte, sans démordre. Esprit de certitude. Certitude en un chemin, en un Rap qui, dans les rêves, de l’El Presidente (Amir), sera rentable (pourquoi pas !).

Nous lisons également, cette note d’assurance dans les titres très affirmatifs « Je suis Riche » et « Moi Aussi je veux percer ». La force de ces titres végète dans le refrain (pour « Moi Aussi je veux percer ») et spécifiquement dans l’accent comique que laisse transparaître « Wèyi », une interjection qui voudrait signifier « Oui » (dans « Je suis Riche »). Cette déformation ne peut paraître anodine quand on sait tout le sérieux qu’on mettrait à se rassurer de sa richesse. Ce gauchissement traduit donc, la satisfécit, l’aisance, le culot et au-delà, la défiance à l’égard des adversaires, des "« haters »" à qui, dans un autre tube, prévient le crew : « Minonzo ». Nous parlions de retour au " 229 ", et bien, ce titre en "Fongbe", admet encore à en être la preuve palpable.

C’est là, le son le plus désaxé de l’album, celui qui témoigne de son caractère ghetto. Celui qui nous imprègne de la touche "« street »" de « Parti d’un rêve ». C’est à se demander si les obstacles traversés par la clic, n’a pas éveillé en eux, une marque de reconnaissance à l’égard de la rue et de ses réalités. Sinon, comment s’explique l’aspect du clip « Moi Aussi Je Veux Percer » qui, pourtant, résonne tel un slogan par lequel désormais s’identifie Cotonou City Crew ?

La rue (bien que l’ayant côtoyé de loin) a dû impacter le CCC, et comme ils semblent le lui rendre bien, ils s’investissent (volontairement ou involontairement), à la refléter. C’est là peut-être, la preuve de leur gratitude, de leur reconnaissance. Et à ce propos, « Groupie Love » le témoigne davantage, car non seulement, on y entend les ladies et leurs caprices, mais aussi les ladies et le « we love your love » de nos rappeurs. Ce qui ne surprend guère car, nous savons tous que, lorsque ces gars aiment, c’est qu’ils en veulent « Encore », « Encore » et surtout en Corps !


Au verso du disque




Le titre « Parti d’un rêve », depuis que nous l’avions entendu, annoncé tel titre d’album du CCC; nous a donné l’impression que nous vibrerions au gré de thématiques plus poignantes, plus ponctuelles, et moins éculées. Parce que oui : Egotrip ! Parce que oui : Alacrité de réussite ! Mais surtout : Nouveauté.

Le ressassement des mêmes idées de suffisance, de fortune, ne semblent-ils pas désuet ? Quand, sur le fronton, du disque, nous découvrons cinq visages innocents, avec tout le naturel qu’ils empoignent, les supputations indiquent à priori, un album immaculé, et lavé de toutes salissures. Nous attendions donc, le CCC, sous une pointe d’expression plus déférente. Nous prévoyions le CCC, sous une approche thématique plus consciencieuse, car, connaissant l’équipe dirigeante (Diamant Noir), en tant que porteurs des messages comme « Nés pour briller » et « J’ai mon mot à dire »; nous avions espéré que seules les mixtapes " West African Rappers " seraient les uniques évasions puériles du CCC.

Car précisons-le, la portée d’une mixtape et celle d’un album, n’est pas pareille. Une mixtape peut être dérisoire, moins sage, mais un album, c’est le miroir de l’artiste. Un album se veut être le canal par excellence, où l’artiste se dévoile, se dénude, se condamne aussi. Et quand l’auditeur écoute un opus, il pourrait prétendre connaître l’artiste (parfois même mieux qu’il ne le croit). Ainsi, nous espérions le CCC en accord avec les réalités ambiantes, ambivalentes et aussi, en rapport avec leur vécu, leur parcours, dans une frénésie plus réfléchie, plus lumineuse, plus émotive. Cela montrerait sans doute à la couche juvénile, le chemin à emprunter pour un rap béninois moins renfermé sur lui-même, plus exportable et plus captivant à l’égard de toutes les autres couches sociales, outre la jeunesse.

Aussi, à entendre les textes et à s’attarder sur les paroles de cet album, nous repensons à nouveau, à « J’ai mon mot à dire ». Nous revoyons les lèvres d’Amir en effet. Qu’il nous souvienne, El Presidente scandait : « Les jeunes me disent, Lâche pas le rap c’est ton arme. Alors, je continue, Compte tenu de tout ce qui se passe. Ne sacrifie jamais mon contenu ».

Ce segment de la phrase : « (…) Ne sacrifie jamais mon contenu » éclabousse quand on y pense. Car dans « Parti d’un rêve », le contenu a été moins métaphorique, moins imbibé de calembours (qui faisaient d’Anouar, l’une des plumes les plus subtiles), d’oxymores, d’assonances et d’autres figures de dires qui, autrefois enrichissaient le langage de Diamant Noir et de Cotonou City Crew.

Admettons l’omniprésence d’antiphrase et de parallélisme qui apportent une valeur entretenue aux textes mais de CCC, nous avons conscience que ce n’est suffisant. Où sont donc passés ces cérébraux qui avaient impacté, en solo, par leur alliage de l’utile à l’agréable, du fébrile à l’inextricable ?


Au-delà du disque




C’est en terminant « Parti D’un Rêve », que nous sondons le mystique qui transpire le long de cet opus. En terminant effectivement car c’est le titre 14, qui aiguise notre curiosité. A insister autant sur son triomphe, sur son succès, l’on doit avoir plongé sa croyance dans quelque chose. L’on doit avoir eu une dose de secret entre les veines, sinon, pourquoi « SS » retentit tel une ode à l’ombre ? Nous y cernons des vers momifiés, des dires ensanglantés, des rimes de sacrifices, des partitions endiablées et de la symphonie chimérique. D’ailleurs, Amir semblait introduire déjà ce décor dans « Mon son est dans la Street », quand il prétend : « Souvent, j’avance protégé par les dieux ». Pourquoi « les dieux » et non, « Dieu » ? Le rappeur se serait-il légué à des divinités autres que celui que d’aucuns jugeraient de suprême ? Illusion ou Illumination ? Et cette dénomination : « SS » : « Société Secrète » ou « Secte Sacrée » ? CCC saurait mieux y répondre !

Toutefois, en statuant sur chaque rappeur, nous sommes interpellés par le labeur de chacune de leur denture et essentiellement par ce que leur langue a laissé cracher. Ainsi, une chose est certaine, dans son effusion vocale, et sa sensibilité, Nasty Nesta est demeuré fidèle à ses inflexions, ses distorsions, ses dérisions, et ses chants toujours aussi délicieux. Même si, devrait-il songer à, de moins en moins, intentionnellement enrouer sa voix.

Pour ce qui concerne, D.A.C, son débit a acquis de la fluidité, tout en restant angliciste dans sa tonalité. Ce qui donne à écouter un style personnifié. Le métissage de ses influences agrémente ainsi son élocution. Avec moins de vitesse, nous l’entendrons sans doute mieux !

Amir ! Le seul à être changeant. A être imperceptible et imprévisible. Parfois, embué par un ton franc, il peut céder à la légèreté ou s’affirmer acéré quand il le veut. Toutes ces diversions, lui servent d’ingrédients pour assaisonner son style, son verbe, et sa manie de scander les mots. Seulement, et s’ils nous rendaient ceux qu’ils avalent !

Par contre, Anouar paraît être celui dont la verve, les vers, et le style, commencent à prendre des rides et à s’effilocher. Autrefois, nous pouvions être assez impertinents en affirmant, qu’il était le plus compétitif, mais désormais, le dire, pourrait étendre un arrière-goût. Etonnement !

Enfin, B-Syd. Disons-le d’emblée : c’est la performance de l’album. Non seulement, il prend de l’aplomb dans son intonation mais aussi, sa technique est devenue plus aguichante. Rythme et cadence. L’on est à présent plus enclin à harmonier avec son flow et à tenter de battre la mesure en guettant ses mots.

Maintenant, il n’est plus qu’à espérer que CCC s’affranchisse davantage !

Nous souhaitons un joyeux anniversaire à Amir aka El Presidente en passant. Tout le meilleur pour lui et au crew.

  • Le plan de Dieu
  • Anandel
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