Une mixtape briseuse d'évidence
Okay ! C’est pigé : aux lèvres du Cotonou City Crew, le rap se veut un acte d’élocution capable de redessiner les noirceurs de l’âme. Une sorte de rurbanisation du désir, de l’imagination, un art d’accomplissement perpétuellement contradictoire, puisant tout de même sa substance dans le quotidien. De ce quotidien justement, déferle : l’hérésie, la femme ou plutôt les femmes -"les bitchs" pour faire un peu plus CCC-, le pouvoir, la richesse, l’égocentrisme, et surtout les sacrifices - dans tous les sens du terme -.
De cet ensemble, le plus important, paraît : les sacrifices. Voyez la dernière phrase élaguée à la fin du clip « OWO », et vous comprendrez moins. Moins parce qu’en vérité, le CCC, joue autant avec les sensibilités, qu’avec leurs réalités. Donc, vouloir les comprendre c’est prétendre les connaître, or, l’on ne connaît jamais suffisamment un artiste, encore moins quand il a des choses à faire découvrir, des moutons à immoler ou quand tout simplement « le "money" est (s)on unique matière » (B-Syd). Ainsi CCC, nous dévoile leur réalité de manière stylisée, musicalisée, de manière vocalisée et scandée au gré de mots impertinents (souvent), déréglés (parfois), mais aussi significatifs et cohérents.
Si le rap exige une maîtrise de la langue et en même temps de la technique, nous constatons que dans cette mixtape "OWO PROJECT", CCC va en guerre contre certaines règles. Ils tutoient ainsi, les puristes qui voudraient que la technique rapologique admette des rigidités, des barrières. Or, d’après ce que nous savons, l’art n’est que libération du moi intérieur, du ressenti intime. Et puisque chaque être à un ressenti différent de l’autre, on ne puis restreindre le rap à des habitudes données, à des techniques pré-définies.
Alors, quand CCC explore d’autres « délires », d’autres lisières, leur permettant de recréer le langage des rappeurs, de tropicaliser ou plus précisément, "béniniser" ce qui, pendant longtemps est resté et demeure, l’apanage des français ou des américains, il ne peut en ressortir que : ces rappeurs ont de l’audace.
Précisons-le, ce n’est qu’un jalon, CCC tente de poser, seulement quelques premières pierres. En attendant certes que d’autres plus jeunes, plus fous, plus créatifs, fissurent vraiment tout ça et crée enfin du rap béninois identifiable, non seulement par les rythmiques béninoises (qu’on retrouve dans le titre "Aboboledji" de la mixtape) mais aussi à travers le laisser-aller volontaire, artistique qu’on constate dans le son "Owo". Mais revenons à la mixtape et admettons que : le rap de Cotonou City Crew est maniaque et, admet comme fonction allégorique de nous divulguer les ambitions (même démesurées) de cinq (05) frères (désormais), prêt à tout pour s’affranchir. Et cela, "Ensemble". Ce détail importe car la cause du CCC n’est pas soliste, et c’est là probablement l’essence de leurs sacrifices (leur travail, leurs efforts, …). Parce que, comme dit Nasty Nesta : « On veut tous faire du blé ». Le pronom indéfini « on » désignerait tout le CCC, et pas uniquement Nasty. D’ailleurs l'adjectif pluriel « tous » vient renchérir cette communion des idées, de combat.
Ainsi, au-delà de leur égo, de leur « sarcasme », découle de leurs dires, cette notion d’union, d’unité. Ce qui fait preuve de leur maturité, vu que, même dans leur individualité, ils prouvent qu’ils sont capables de « dé-raisonner » ensemble. Cependant, parlant d’unité, on se demande bien : où est passé D.A.C ? Son intervention dans cette mixtape se veut furtive. Pourquoi ?
Okay ! C’est pigé : Le rap de Cotonou City Crew est vraiment singulier lorsqu’il narre des soirées à s’en déchirer la braguette, à en vouloir les "gos" les plus huppées de Cotonou, à en désirer les "teufs" folles dans les clubs les plus enivrants de la ville, mais avec de l’opulence dans les vers. Combien de rappeurs parviennent aujourd’hui à radoter la même thématique sans tomber dans la désuète répétition, dans le parler dépourvu de frissons ? Lorsqu’ils rappent pour atteindre l’effronterie de l’anodin, CCC profère quand même, un intellect, qui, malheureusement, se raréfie de nos jours dans le rap egotrip béninois. Encore que, même nos rappeurs, par rapport à leur récente performance, semble flancher de plus en plus. A ce propos, ne devrait-il pas faire attention !?
Okay ! C’est pigé : Le CCC, ce n’est pas des tendres. Nous avons à faire à des prétendus « imbus de leur personne », des dits « démons » qui n’ont pour foi et loi, que leur « cash ».
Seulement, nous, nous constatons d’autres revers. Au-delà des préconçus que l’on peut se faire en les écoutant, l’on constate des bribes de lumières, et de tendresses qui foisonnent dans les mots du CCC.
Premièrement, Amir : « Je sais que ma rage vaincra ». Pour avoir noué de la rage en son sein, jusqu’à vouloir qu’elle vienne à bout de ses périples, de ses obstacles, il faut avoir eu des ressentiments. Il faut aussi avoir eu des sentiments, soit des déceptions, soit des rêves brisés, soit des moments de solitude intenses, soit des douleurs amassées, soit des colères tempérées. Ou des revanches à prendre. Et pour tout ça, il faut d’abord avoir été un ange, il faut avoir été immaculé. Et si le « démon en nous » qu'on laisse voir, ne nous empêche pas de dire, la confiance que l’on confie à sa rage, c’est que l’ange en soi ne s’est pas éteint.
Deuxièmement, Nasty Nesta : « …Assez de money pour ramener ma mater du shopping et lui dire : prends tout ce que tu veux, tu es ma reine, tu le mérites ». Dans cette portion, l’évocation de la maternité, la redevance en son égard et la satisfaction de la satisfaire, témoigne combien, toute la haine que son micro l’entend déballer, ne suffit pas pour résister à tout l’amour maternel qu’il ressent. D’ailleurs dans ce même sens, B-Syd réitère : « Je suis riche juste avec un sourire de ma mater ». Toutefois, chez le King, ce qui dévoile son côté sentimental, son âme d’aimant, d’amoureux (si vous voulez), c’est : « Tout le monde me demande pourquoi avec mon ex on a cassé… ». On y entend la profonde blessure d’un enragé. On y pressent également l’amertume de ses instants de désolation et, cette fureur dans sa manière de le rapper, précise combien cette partie de son vécu a marqué son égo. Comme quoi : Chassez l’amour et il vous revient au micro.
Et puisque nous parlons d’amour, d’aimance, Anouar n’est guère dérangé de dire : « Mon cœur dans la main, c’est tout ce que je te donne,… Oublie ton sac à mains ». Là, le matériel perd son sens. Et Anouar prend en compte l’essentiel : Le cœur. Pour en arriver à une telle énonciation, bien qu’Anouar soit l’un des plus érotiques dans ses textes, cela suppose que son cœur remue sept fois ses impulsions quand il s’agit de retourner dans les bras de sa dulcinée, pour qui, « tout l’or du monde » paraît dérisoire.
C’est donc pigé : Le CCC, ce n’est pas des tendres, mais ce n’est pas non plus, des « sans peur » ou « sans cœur ». A propos, C’est aussi pigé : Le pouls d’Anouar est Yoruba, son cœur aussi est Yoruba et il nous en fait la vocodeur démonstration, ces derniers temps. Alors, Anouar chante et Anouar enchante. Mais Anouar n’use-t-il pas déjà, et peut-être un peu de trop, le même lexique ? (Dakou…, etc.)
A l’entendre, l’on a l’impression d’une fuite rapide pour le français, quand son Yoruba s’épuise sous sa langue. Avons-nous tort ?
Une vidéo en sang
Qui se souvient de la polémique autour de la Piste 14, qui a suscité questionnements et remises en cause à l’égard et, par le Cotonou City Crew ? Il était dit de la Piste 14, extrait de « Parti d’un rêve », qu’on y « cernait des vers momifiés, des dires ensanglantés, des rimes de sacrifices, des partitions endiablées et de la symphonie chimérique ». Et voilà que le clip nous en donne la preuve. En tout cas, quelque peu.
Dans cette vidéo, l’on est assailli par des images de stratèges, de sanctification, de vol, de violation (de propriété), de meurtres, de traditions et d’immolation. Le cliché qu’entretenait la Piste 14, tombe d’ores et déjà, miroitant des paysages allusifs et fulgurants. Il importe, en conséquence, de notifier que l’on ne pourrait suivre ce clip au premier degré. Il faut creuser les images, briser leurs indistinctions, faire parler les non-dits, recueillir le sang du mouton immolé sous nos yeux et en faire le prix à payer quand l’on veut atteindre les grandes marches de la gloire.
C’est donc pigé : « l’argent nécessite certains sacrifices ». L’argent nécessite alors, du stratège, de l’élaboration, de la ruse, du parcours, du travail et par-dessus tout « le don de soi », jusqu’à s’en épuiser, jusqu’au sang.
Un parjure étonnant.
Pendant longtemps, CCC a taxé d’inconcevable, cette coutume béninoise de nos rappeurs autrefois hardcores, a délaissé le pur et dur, pour du commercial, pour du « faux », puisque Amir s’en ai toujours vanté : « Nous faisons et ferons toujours du "vrai" ». Regardez une fois encore le début de la vidéo Flow Viagra feat Roccah et vous comprendrez de quoi nous parlons.
Et c’est là le hic. Ecoutez « Elle est où ? », et insurgez-vous contre ces sentences impulsives du El Presidente, qui avait rangé les autres dans un placard, soit parce que leur voix proférait des accents "r’n’bistes", soit parce qu’ils s’adonnaient à de l’afro-pop (il n’est point question du label de Jay Killah mais, du genre musical) ou à l’afro-danse feeling.
Ecoutez « Elle est où », et indignez-vous de ce que, El Presidente ait osé délecter nos tympans, du genre qu’il avait traité pourtant de comique. C’est à croire que l’artiste se trahit. C’est à comprendre qu’il trahit également tous les fans, qui sont toujours restés accrochés à cette philosophie de ne jamais sacrifier le « hardcores ». Seulement, voilà ! Les exigences du showbiz ont apparemment changé les cartes. Et même si le son est tentant, enjouant, prouvant que le CCC est éclectique, les dires d’Amir les rattrape et fragilise un peu leur fiabilité. Nous ferons-t-il du "Coolcatché" un de ces jours alors ?
En attendant, on se demande ironiquement : qui est finalement "vrai" ? CCC qui se trahit ? Ou les autres qui assumaient depuis, leur revirement ? Du coup, on se demande ! La réponse : elle est où ?