"In love with Marianne" : Jay Killah et l'elliptique de l’égo


Dans la suave traversée de « L’Arrhe de la guerre », que nous faisons et refaisons volontiers, Jay Killah nous livre plus d’un regard(s) rénové(s) sur l’Afrique, marqué par la subtilité de traitement des thématiques. Parce qu’en effet, il n’est pas suffisant d’évoquer l’Afrique dans ses écritures, dans son album, pour prétendre faire œuvre essentielle. Il faut surtout savoir constituer, composer, reconstruire, défaire nos réalités, nos vécus, nos paroles, nos apparences, et nos mutismes, afin de mieux nous comprendre, nous cerner, puis nous éveiller.

Et justement, dans cette quête pour l’éveil, pour le réveil (des mentalités), Jay Killah à travers "In Love with Marianne" signe l’un de ses titres les plus ambitieux, les plus élaborés ; tant contextuellement que thématiquement. Ce n’est rien moins qu'une prosopopée qui nous est donnée non seulement à écouter mais aussi à entendre : une symétrie anecdotique entre l’Afrique francophone et la France, transposée ici en des personnages-personnes baptisés respectivement Kocou et Marianne.

Cette chanson feinte le piège populiste des rappeurs (quand il s’agit d’Afrique) de ressasser les mêmes préconçus décousus et conçus, pour alimenter les fournaises de révoltes, les colères désinvoltes et les préjugés souvent mal-jugés. Jay Killah maintient donc la tonalité et l’atonalité qui lui est singulière ; avec en plus, sa fibre de captivité et sa perpétuelle langue pimentée au « Parfum de rébellion ».

Admettons-le : la rhétorique est moins poétique qu’habituellement, mais nous comprenons très vite pourquoi, quand l’on suit le fil de l’histoire. Ainsi, dans sa volonté de porter déclaration, de s’insurger contre, l’artiste devient un conteur contemporain qui ne se restreint cependant pas, à relater mais particulièrement à analyser. Il nous plonge donc dans cette relation "françafrique" francophone, que nous connaissons depuis toujours, mais que nous évaluons malheureusement mal. Or à ne pas se rendre à l’évidence de l’ampleur de la gangrène, de la béance de l’arnaque, de la malice malsaine ; l’on ne saurait ouvrir les yeux des yeux, afin de réagir et mieux d’agir.

Alors Jay Killah procède par démonstration. Généralement, et nous ne l’ignorons point, les démonstrations sont sensées monnayer, faciliter les compréhensions, pour élucider les ambigüités. Mais ici : comment démontrer ce qui est pourtant probant ? Ce qui est sous nos yeux ? Ce dont on se plaint régulièrement ? Comment dévoiler le dévoilé ? Voilà, la préoccupation à laquelle devait faire face l’artiste. Comment ne pas tomber dans la banalité pour parler d’une réalité tout aussi banale ?

Aussi complexe qu’elle peut paraître, cette tâche sollicitait méninges et exigence de l’art. Et dans cette procédure, Jay use d’une délicieuse délicatesse en se servant de nous, pour parler de nous et en même temps, pour nous parler. Dans son approche, il matérialise de façon concrète, l’abstrait que l’on pourrait identifier entre Afrique - France. Chaque signifiant trouve son signifié, de sorte que chacun de ceux qui écoutent ce titre, parviennent à non seulement être plus proche du fait, mais également à façonner dans sa tête, toutes ces choses que l’on ne semble pas percevoir de près, et qui sont pourtant proches de nous. L’enchantement est de se rendre compte que oui ! C’est vrai ! L’Afrique en tant que "Kocou", finalement se fait « niquer » par une « femme ». Donc chacun de tous ceux qui font les fiers, les "akowé" en Afrique sont en réalité « niqués » par une « femme ».

Attention ! Loin de désacraliser l’image de la femme, Jay se sert de la coutume, de la mentalité africaine, de notre populaire regard sur la relation entre homme et femme, pour susciter un tic dans la cervelle de chacun de nous. Nous savons tous qu’en Afrique, il est quasi-insoutenable qu’un homme se fasse commander dans son « couple » (parce que Jay Killah présente la relation entre l’Afrique et la France comme un ménage). Donc l’homme se faire commander ? Ah non ! Jamais ! Il faut par conséquent, que l’homme (l’Afrique) se lève ; s’éveille, comprenne, et prenne la position de Force qui est la sienne. Une femme (L’Europe), ordonner ? L’homme (l’Afrique) aurait-il perdu alors sa virilité, ses couilles ?

En ce sens, In love with Marianne, se sert de l’égo intuitif propre aux africains, pour les mener à constater qu’il est temps de faire tonner leur insurrection. Si nous mettons tant un point d’honneur sur la place du Mâle dans la société africaine, pourquoi sommes-nous toujours incapables à mettre à sa place cette « femme » qui nous « bouffe tout » ? Serions-nous alors que de grandes gueules ? Ou des incapables qui saoulent le monde avec nos principes sur la masculinité ?

C’est là autant de questions que suscitent un tel son, qui témoigne qu’il peut suffire de suggérer pour appeler à la conscience collective, en mettant sur le même dénominateur émotif, tous les africains, d’ici et des ailleurs.

Jay Killah parvient ainsi à renouveler, à rehausser le débat autour de la corrélation "françafricaine". Et par cet apanage, propre aux rappeurs lumineux, il nous invoque tous à puiser dans notre fierté, dans notre égo pour œuvrer concrètement, au développement africain. Que les mots ne soient plus que notre chose, mais que l’acte, que le fait, que la réalisation soit aussi notre cause. Et pour cela : il faut se débarrasser de cette « femme », cette sangsue qui profite de notre propre abêtissement « assougbotéisme ».

A présent, il est à souhaiter que l’artiste mette davantage en exergue, de tels titres plus significatifs que ceux inutilement commerciaux- que le showbizz le contraint à clipper pour hausser sa côte.

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