Yédoutotchékouèbi - plus véridique que jamais !

L'actualité politique prête parfois à l'art son actualité. Et dans le cas actuel de notre pays, les échauffourées dans les rues, la colère de nos hommes politiques, la rivalité abjecte de leurs injures, nous renvoie à un single à la fois interpellant et questionnant. Yédoutotchékouèbi !

Il y a des sons qui vous guident, non pas au fond, mais au tréfonds de vous-même. Des sons qui restituent votre état d'âme, vos déchirements, vos colères silencieusement ruminées. Il y a des sons qui ne sont pas des médicaments mais qui pourtant, ont le remède pour vous apprendre à atténuer vos ras-le-bol. Et quand ce type de son prend fin, pas d'autre choix que de le rejouer, et de le sentir inonder nos oreilles. Parce que, de toutes les façons, il y a toujours un nouveau quelque chose à réécouter, à déchiffrer, à mieux percevoir. Ou un ton de colère exprimé par les artistes, qu'ils conviendraient d’admettre, de permettre et surtout de ne pas (plus ?) omettre.

"Yédoutotchékouèbi" répond à ce fonctionnement. Un son qui raconte le "je" de chaque béninois écorché. Dans un style tranchant, il dissèque les mensonges, fracasse les faussetés, et ose des ironies osées. On comprend aussitôt, la révolte rageuse, la rage musculeuse des deux artistes contre toutes les manigances politiques, mais aussi contre les vices ou tares du « béninois » en lui-même. D’après leurs propos, on comprend qu’ils veuillent transcender l’accusation (même fondée) des autres (des politiques). Il y a mieux : Nous ! Nous, béninois et nos attitudes, nous sommes aussi responsables du déclin qui nous guette ou que nous vivons. Quand Logozo crie « Gbè Mi ton », ça n’est pas qu’à l’égard des politiques, mais aussi de nous-mêmes, qui préférons des miettes pour marcher au nom de raisons fallacieuses. Alors que, « Timati va xi » (La tomate est chère). Alors que « azo kou dé o » (Il n'y a pas de boulot).

Ainsi, à travers leur rhétorique tantôt amer, tantôt acerbe, Cyanogène et Logozo, loin de se confiner, dans le manichéisme « Politiques = mauvais et exploiteur, Peuple = bon et exploité », ont décidé d’examiner le Bénin et ses réalités du fond des yeux, avec un détachement qui favorise l’analyse objective. Aller au-delà des clichés, dépasser les illusions entretenues, mettre à nu. C’est probablement dans cette démarche que s’inscrit nos rappeurs, et Cyanogène fait tôt de demander : « Connais-tu le Bénin/ Hormis sa connotation Vaudou ». Comme quoi, il n’y a pas que le beau qui détermine notre pays. Il y a le pays-blessure, le pays-fissure, le pays-manipulation, le pays-laxisme, le pays-désinvolture, le pays-amertume, le pays-non-prévoyant, englué dans des contradictions sociales, politiques, idéologiques, économiques, …

En cela, Yédoutotchékouèbi, ressemble au plaidoyer de deux chroniqueurs désolés, chagrinés et déçus. Deux chroniqueurs qui nous mettent en face de nous-mêmes, pour nous faire voir le nous-désolant, le nous-chagrinant, le nous-décevant. D'abord il y a Cyano, avec son timbre brailleur, son texte rageur (audacieux surtout), ses dérisions et ses hérésies troublantes. Puis il y a Logozo, avec son "Fongbé" interpellant, et sa verve utilement agressive.

L’alerte du questionnement, l’enracinement à nos réalités, l’attache au comparatif dans le langage (spécifiquement chez Cyanogène) sont autant de capacités stylistiques, qui donnent à s’attarder sur chaque vers de leurs dires. Ah oui ! La gravité du ton et du thème aussi. Ah aussi ! L’avantage du refrain qui est très mouvementé et qui ne donne pas de répit. Et surtout (impossible de ne pas l’évoquer), le slalome de Cyanogène à travers tous les réseaux de téléphonie béninois. Ah ! Cette énumération. Inquisitrice, scrutatrice et subtilement enchâssée, pour dévoiler nos non-dits souvent pensés.

Voici donc un vrai rap de Vrais. Parce que nous l’avions déjà dit : l’authentique rap doit « parler des gens et parler aux gens ». Pour ça "Yédoutotchékouèbi" remplit bien sa mission, et sa vision. Car il reste intemporel (d’ailleurs datant de 2014, le voilà encore plus actuel). Il traverse nos douleurs, nos aberrations, nos grossièretés, nos snobismes, et, nos espoirs froissés. On en arrive d’ailleurs à se demander : Comment, Cyano, parvient-il à faire du coq à l’âne tout en maintenant un fil d’Ariane bien logique, bien fébrile, et bien crédible ?

Par contre, il ne faut pas qu’on s’y trompe ! Ce son n’est pas que politique. Il est avant tout, SOCIAL, et HUMAIN. Il évoque nos illusions (le fait que nous soyons « pseudo-indépendant » et que nous fêtions le contraire), les impertinences béninoises (« Pitoyable/ au bled/ il faut deux heures de retard pour respecter l’horaire/ ») ; les mesquineries de chez nous (le « Tchakatou », la jalousie, l’égocentrisme), etc. Pour nous donc, "Yédoutotchékouèbi" parle juste et parle vrai. Ce son est un coup de poing dans la face des menteurs ; un auto-procès destiné à nous faire nous révolter envers nous-mêmes, mais aussi à réfléchir sur nous-mêmes. Puis bien sûr, à s’améliorer pour nous-mêmes.




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